'Les absents parlent' {Création}

–Juil 2020, Essai politique–

Vendredi 12 juin, accompagnée par Habib, j’ai visité l’Hermitage Lab un tiers lieu de travail et vie en collectif situé entre Compiègne (60) et Soissons (02). Nous avons rencontré Jean, Nicolas, Mathieu, Loïc, Marie, Marine. C’est un lieu où les rencontres entre différents mondes sont accueillies et impulsées : bénévoles, entrepreneurs, ruraux, urbains, développeurs, paysans, geek, ingénieurs, écolos, brasseurs, actifs, retraités, décrocheurs….



C’est une équipe qui se permet de rêver grand.
Dans cet article, je m’adresse particulièrement à Jean que je vois comme chef de ce lieu et ce projet, non pas parce qu’il se nomme chef mais parce que j’ai perçu la posture du chef à travers son plaisir, son amour à observer les gens et leurs systèmes. Je lui adresse la parole de l’artiste, celui qui fait miroir du monde : qui nous met en garde, nous qui rêvons d’un monde meilleur, d’un monde paisible, un monde pour tous, de n’oublier personne.
“Les absents parlent” est un texte écrit par Jonathan Dupui -auteur de cette parole artistique- à l’occasion d’un événement “DEMOCRACY 4 ALL” lors de la Bockchain Week à Barcelone en octobre 2019 où nous avions été invité par David Bovill. Le texte était alors adressé en premier lieu aux organisateurs et participants à l'évènement, avait été traduit en anglais et en espagnol pour l’occasion, et distribué sur l'évènement au gré des rencontres et des conversations sous forme de fanzine.


Les absents parlent.

"Vous pensez à nous ?

Parce que nous sommes nombreux. Nous avons des montagnes de problèmes, de revendications, de désirs, d’espoirs et de désillusions. Si vous proposez de réinventer le monde, une «démocratie pour tous» comme vous dites, vous devez faire avec nous, nous les absents. Et quels mots pouvez-vous bien entendre de là où vous êtes ? Vous les nouveaux organisateurs d’un monde meilleur… Pour tous ? Est-ce bien un monde meilleur pour tous ? Donc pour nous aussi, tous.

Vous ne pouvez nous exclure, sinon vous n’engendrerez qu’un monde encore et toujours divisé… et si c’est bien vous qui devenez ces fameux organisateurs du monde, même si vous vous maintenez à le nommer meilleur, ce n’est que vous seuls que vous enrichirez, vous seuls que vous flatterez.

Et déjà… Nous les absents, qui appartenons au peuple, qui sommes le peuple, nous entendons vos auto- flatteries. Déjà, nous nous inquiétons de ne pas faire parti de vos idéaux. Quels sont-ils déjà, vos idéaux ?

Vous devez être ici non pas pour être les rois, mais bien pour nous servir. Et vous devez entendre qui nous sommes, nous l’unique raison de votre élan.

Ainsi, entendez cela : nous ne serons jamais ce que vous projetez sur nous ! Parce que nous sommes trop divers. Et nous connaissons la nature de la projection. Nous sommes nous-mêmes conscients de la bêtise de cet acte. Qui n’a pour effet que la soumission par le désir d’appartenance.

Alors nous ne formerons pas un monde. Nous ne formerons qu’un groupe, qu’un petit groupe s’auto-flattant d’être pareil que les quelques autres avec qui nous sommes. Avec qui nous discutons de comment le monde serait super si tout le monde le pensait comme nous. Si c’est bien un monde que vous souhaitez vivre, vous avez à le vivre avec nous.

Et il y a des choses dont nous exigeons d’être témoins: Aux yeux de tous, Vous devez reconnaître pourquoi vous êtes là où vous êtes, Puis vous avez le devoir d’avouer ce que vous venez chercher ici, au soi-disant sommet de la nouvelle bien-pensance. Vous devez, au moins, nous exprimer dans quel but vous êtes ici, sous-tendant quels intérêts. Parce qu’il faut que cela soit entendu. Et si vous sentez une pression forte à l’intérieur de vos frêles corps, sur les exigences que nous soumettons là, maintenant, c’est d’autant plus à vous, alors, que ces exigences s’imposent.

Car, nous les absents, savons également ce que c’est que de cacher nos désirs pour chercher notre place dans la société, dans la vie, dans notre famille ou notre emploi. Nous savons quels outils nous utilisons pour parvenir à nos fins, et nous savons ce que nous tentons de faire : Être reconnus pour ce que nous sommes. Ou cela ne serait pas plutôt pour ce que nous disons être.

Que sommes-nous alors lorsque nous sommes les absents ? Qu’est-ce que nous pourrions donc bien souhaiter de ceux qui s’affairent à améliorer le monde ? Qu’eux, au moins, que vous, on vous en prie, acceptiez cette chose apparaissant comme douloureuse de vous tourner jusqu’à nous, les absents, et de faire l’expérience de nous reconnaître comme étant votre seul sujet. Par quel concept faut-il passer pour tourner son attention jusqu’a ce qui est invisible ? À quoi devez-vous vous référer pour bien produire ce geste ? Cela nécessite-t-il meme un quelconque geste ? Et quelle serait la saveur à vivre que d’offrir la reconnaissance, hein ?

Quel acte de plus cela demande-t-il ? Faut-il des tableaux et des idées, des rapports d’analyse et des concepts, des démarches et des limites pour que cela se produise ? Non, tout cela n’a toujours été que des jeux. Des jeux recouverts du voile des « choses sérieuses », rendus sérieux par le goût de soi-même, oubliant l’autre, et le monde.

Cet ancien mécanisme est bien cela que vous avez le devoir de défaire si vous souhaitez réellement une démocratie pour tous.

Et c’est pour cela que nous prenons la parole. Nous vous demandons d’ouvrir le jeu.

Mais nous ne sommes pas idiots, nous savons par quoi vous allez devoir passer. Passer. Nous disons bien passer, et pas s’arrêter, tous ces tableaux et ces concepts, pour gravir les sommets de la gouvernance. Pourquoi alors ne pas nous offrir la beauté de ce jeu ? Que vous faut-il à part notre présence pour que vous puissiez accepter un fardeau comme un cadeau ?

On vous en prie, gardez bien en mémoire pour qui vous faites cela. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons vous soutenir, vous estimer et vous aimer. Mais entendez notre méfiance, elle est votre route. Ainsi nous deviendrons votre joie.

Votre première action est donc bien d’avouer votre intérêt personnel, de le lâcher au monde et de laisser le monde s’en occuper pour vous; de lui faire confiance en quelque sorte, tout comme vous nous demander, sans l’exprimer, de vous faire confiance. Ou encore de l’abandonner, si le monde n’en fait rien. Et acceptez de voir que vous n’avez jamais eu une quelconque autorité. Aucun pouvoir. Qu’il n’y a toujours eu que l’acceptation de ce que vous racontiez par les autres pour leurs propres intérêts. Et le goût exquis de la domination n’a toujours offert qu’une réalité nauséabonde. Aucune entente. Et voilà pourquoi le monde fantasmé ne fonctionne pas. Et le vrai monde est là, il n’a pas besoin de vos projections. Et il vous attend. Il ne reste plus qu’à savoir comment vous allez l’accueillir. De la même manière, comment vous allez accueillir nos propos. Qu’avons-nous à faire si vous n’en faites rien ? “


Si vous avez lu jusqu’ici, alors je serai ravie de recevoir vos retours sur cet article,
Anne Lucie
(anne.lucie.dumay@aquilenet.fr, 06 15 60 97 04)