(ART. 1/5) NOUVEAU MOUVEMENT

Ça va faire un certain temps que je me dis qu’il faudrait que j'écrive un truc, au sujet d’un autre truc. J'écris parfois d’autres trucs, qui parlent de trucs, la plupart du temps ces trucs sont une sympathie soudaine pour des acteurs du monde, de la famille, de la société, d’une culture, d’inconnus. Ce n’est pas qu’une sympathie, pour dire vrai. C’est parce que j’en ai que je m’attriste d’abord, je n’ai pas envie de ne pas en avoir pour le monde, de la sympathie. En fait, je m’attriste d’une tristesse ambiante. Et là, depuis quelques temps, plusieurs mois je dirais, j’avais un de ces trucs. Il y a un fond de comique dans ce que je vis. Comme si ce n'était rien d’autre qu’une connerie, qu’une bêtise. Une bêtise qu’il serait bon de nommer. De sentencer une fois. Pour toute. La tape sur la main de la connerie qu’il fallait ne pas faire. Car toutes les conneries qu’on peut faire, autant y aller à fond.

La tristesse vient de l’enchaînement de la mauvaise connerie, de ses répercutions, en somme.

Mon élan d'écriture est allé aux ingénieurs. Lorsque je me suis retrouvé face au premier jouet offert au “Dixième arrivé dans cette vie collective (pour tenir une intrigue)", un petit oiseau flashy avec plusieurs textures, des boutons sur le ventre pour lancer des musiques pour enfant, des ailes de papillon colorées avec un plastique, certainement, à l’intérieur du tissu des ailes produisant un léger craquement. Je fais voler l’oiseau au dessus d’Aliam (fin de l’intrigue), et je me rends compte que le bruit des ailes est profondement juste, comme s’il pouvait y avoir un recoin de poésie. Je pense que j’ai rencontré l’ingénieure derrière je ne sais quelle grosse marque de jouet pour enfant, j’ai senti son souci d'être précis au moins, d’offrir un truc juste. Et je me suis attristé. Gentiment hein ! Je ne me suis pas mis à chialer, je n’ai pas quitté la pièce en laissant Aliam seul. J’ai juste continué ma life. Avec cette amitié pour cet ingénieur. Et je me suis dit qu’il ou elle était coincée. Comme tous les ingénieurs du monde. Prisonniers de Total, prisonnières de Bouygues, de Fisher-Price. Prisonniers d’un fonctionnement nous amenant tranquillement à notre perte. Comme l'échec écologique, par exemple…

Elles sont coincées parce qu’ils sont seuls. Parce qu’il y a qu’un monde tourné sur lui-même. Parce qu’il n’y a pas d’autres alternatives. Parce qu’ils ont un fond d’handicapés-sociaux. Dans ce contexte, c’est sûr, se planquer pour faire sa thune en désespérant du monde, c’est une bonne solution… Mais si tout ça n'était pas vraiment vrai, si leur solitude était fausse, s’il existait un monde qui soit en train de les attendre, s’il existait un monde qui avait sorti son nez de son nombril, parce qu’il n’a rien pu faire seul par exemple, et qui se mettait à penser collectivement, et puis qu’il s’est dit, ce monde : “mais elles sont où ceux-là ?”

Il existe un monde qui les attend pour prendre en main le bousin.

Faudrait les sortir de là.
Faut les aider à ne plus avoir peur.
Faudrait les aider à leurs faire séparer l'économie de leur geste. Que leur geste soit en liberté, aux ingénieurs. Et pourquoi pas que ce soit elles qui tiennent les machines. Et pas qu’ils soient des outils pour des machines, certes bien montées, mais tellement bêtes. Et je suis sûr, que cette grosse bêtise, elles la connaissent, tous. Parce qu’ils savent quelque chose sur le travail, peut être plus que tou.te.s les autres employé.e.s. Ils en ont un amour, je pense. Elles savent qu’il y a moyen, par le labeur, à réussir à toucher à quelque chose. Est-ce que c’est de pouvoir jouir de grosses quantités d’argents ? Je ne pense pas. Comme si, eux qui sont là pour réussir ce qu’elles entreprennent, des trouveurs de solution, savent qu’elles baignent dans l'échec.

Sortons les ingénieurs de l’industrie !

Qu’est-ce que c’est que d’avoir des capacités de ce genre pour continuer de justifier à Lu, par exemple, de faire des biscuits si bien trouvés ?

Sortons les ingénieurs de force, s’il faut, du monde de l’industrie, point. Peut-être qu’elles n’auront plus d’argent, mais bon sang, ils ont des proches qui pourraient les soutenir, non ? Peut-être qu’il faudrait que leur père les comprennent, peut-être. Et si on s’en branle ? De comment nos pères pensent comment le monde doit marcher ? Si on leur disait, même, à nos pères, que tous leurs discours sont bien ce qui a conduit le monde dans cette impasse. Qu’au final, nos pères n’ont été que des inquiets du manque. Les ingénieurs n’ont rien à foutre dans l’industrie ! rien ! à part poursuivre leur déprime, à part se justifier d’un devoir… Branleurs !

Faut qu’on exige des ingénieures d’arrêter de se la toucher dans leurs bureaux de merde. Et qu’ils finissent par crever, je dis ça parce qu’il n’y a pas d’autres issues, sans avoir mis leur esprit au service d’une possibilité d’amélioration du monde. Vous rendez-vous compte ?

Et pendant que je pensais à écrire ce truc, il y a un type qui est venu nous rejoindre, à la Cité de la Digue. Et ce gars fut une réponse à ma sympathie. Il existe déjà, un vrai sacrifié de l’industrie.

Donc moi, dans mon coin, je m’insurge de ne pas connaître un ingénieur hors de l’industrie et en voilà un qui avait déjà produit cette extraction de l’inquiète bien-pensance occidentale.

Les mois à venir vont envoyer du lourd.

avec

David Bruant

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Date de parution: le 22 décembre 2021.

Écriture:
- Jonathan Dupui

Photos et/ou retouches:
- Jonathan Dupui
- Bastien Lasserre

Enregistrements audios:
- Jonathan Dupui

Mise en forme web (et censure):
- Jonathan Dupui
- David Bruant

Contact: Anne Lucie Dumay, Magali De Bortoli (diffusion@association-tedua.fr, 06 15 60 97 04).