«Soumis par l'écoute»

La “discipline du jeu” est une approche du jeu de clown-théâtre développée par Jonathan Dupui au fur et à mesure de son parcours dans le monde du théâtre, du clown et du spectacle vivant en géneral.

La recherche qui l’accompagne, à propos de la nature profonde du public, s’est matérialisée ici sous la forme d’une série de 12 textes intitulée «Soumis par l'écoute» ; destinée d’abord aux comédiens, mais aussi à tous ceux qui y percevront une parole touchante quelle que soit l'étendue de leur expérience du jeu sur scène.

  • L’amplitude du jeu
  • Technique et écoute
  • Les trois corps du comédien
  • “L’action est morte”
  • Le calme
  • Le regard des autres
  • “Le sens de ce geste”
  • La parole du comédien
  • Dans le silence du public
  • “Tant que le public l’est”
  • La plus grande recherche du comédien
  • L’artiste est l’idiot

L’objectif

Rendre au public la beauté de sa place.


L’amplitude du jeu

Les nuances ne peuvent que s’entretenir entre elles.
Une nuance isolée des autres est une bêtise absurde.
C’est dans l’interstice que leurs beautés s’accomplissent.

Elles sont là pour l’harmonie
entre un soleil couchant et une larme finissant sa course.
Pas pour celui qui pleure.
Ni pour celui qui s’éteint.
Juste pour celui qui l’entend.

Voilà une proposition de posture face à l’amplitude du jeu alors.


Technique et écoute

Cette acceptation que le comédien doit se soumettre à l'écoute. Il n’a aucunement le droit de s’y dérober.

Plus le comédien affirmera son écoute, plus son champ d’actions ou sa palette d'émotions s'élargiront dans la souplesse, dans le calme.

Dans tous les trajets de vie de comédien, chaque déploiement de technique finit par : soit scléroser le comédien, soit être dépassé par autre chose.

Que vit le comédien quand il dépasse la technique ?
D’où vient la sclérose?

Il existe un juste équilibre entre l’application à l’expression, la réaction qui y répond, et le silence du public.


Les trois corps du comédien…

…et les techniques pouvant s’y déployer.

1. Le corps physique

Pour qui est-il vu ?

  • tension et souplesse
  • élargissement / rapetissement du corps
  • mouvement et conscience du mouvement
  • vélocité du geste / distance du geste
  • le lâcher-prise sur le mouvement.

2. Le corps sonore

L’expression livrée au récepteur :

  • chant de tout style
  • travaux d’articulation (lecture et conscience du mot dans l’apprentissage du texte et lors des italiennes)
  • les différents tons
  • le cri
  • le lâcher-prise sur la parole.

3. Le corps public

  • AUCUNE TECHNIQUE.

Placé en espace libre, le corps public du comédien est le reflet du résultat de son expression par l’acceptation de l’offrir, de la remettre à ce corps public.

Faire attention de ne pas faire attention à son image.
Pour cela, laissez-la au public.

Comment laisser son image à autrui ?
Reconnaître qu’il n’en a jamais été autrement.
Comment reconnaître cela ?
Il n’en a jamais été autrement.

Où se trouve le jeu?
Qui joue?

  • Faire monter la conscience que l’action se mène sans soi. Cela installe la confiance.
  • Découvrir la voie du lâcher-prise.
  • Application aux travaux techniques : tenue corporelle, articulation vocale.

Il faut que la vigilance de NE PAS AVOIR À FAIRE quelque chose soit toujours présente .

Aller à la rencontre de la nature profonde du public. Celui pour qui le jeu s’offre.

Celui pour qui le jeu s’offre, a-t-il besoin de faire un effort ?
Savoir distinguer quand le jeu s’offre au public de quand on lui en impose un. Pour savoir le déterminer :

  1. Mettez-vous en interne …
  2. … qu’est-ce qu’on vous impose? …
  3. … n’y a-t-il toujours pas que vous pour accepter de vous soumettre?

Générosité

Il y a moyen de changer la couleur d’une plainte en un éclat de gratitude. Encore faut-il qu’il y ait des oreilles.


“L’action est morte”

D’abord il y a la mise à nu.
Puis l’avalement.

L’action est morte, l’action se produit d’elle-même. Toutes les expressions aussi se produisent d’elles-mêmes.

La seule action est l’acceptation de :

  • la mise à nu
  • l’avalement.

Les différents points de techniques seront les balises invisibles. Le travail de la technique sera comme le vent certain d’une chute libre. Le travail technique ne pourra pas avoir de fin.

Être libre dans chaque champ d’expression : cela ne demande aucune technique.

L’esprit du comédien n’a pas à écouter la technique se déployant pendant le jeu. La technique doit se travailler sans soi.
“Être rendu” au travail de la technique est le seul moyen pour qu’il ne gêne pas le jeu du comédien. Qu’elle recouvre le quotidien : voilà un moyen de la travailler le plus efficacement : être en conscience qu’il y a voix et corps.

Elle est à développer:

  • au minimum, jusqu'à ce que l’oeil et l’oreille du public n’aient plus aucun effort à faire pour recevoir,
  • au maximum, au bon goût de chacun. Dans le flot des plaisirs, des désirs ou de l’idée de besoin -éventuellement pendant la proposition d’un metteur en scène sur un projet précis-.

Le calme

Pour jouer le calme, nous ne pouvons pas utiliser le jeu.

Car toutes les tentatives de jouer le calme seront accompagnées d’agitation. Et la forme offerte ne sera pas “le calme” mais “la recherche du calme”.
S’exercer au calme permet de saisir le démarrage de toutes les agitations. Toutes les agitations appartiennent déjà au jeu. Cette réalité offre l’ouverture totale de la palette du jeu. Et toutes les résolutions de toutes les agitations retournent au calme.
C’est comme s’il fallait au comédien un espace suffisemment impressionnant de stabilité pour qu’il puisse s’offrir à autant d’aléas mais c’est à lui de s’interdire toute négociation. Qu’il soit d’accord qu’il joue carte sur table.


Le regard des autres

Attention aux effets de langage ! Plus précisément, attention au désir d’effet de langage. Celui qui pense que ça lui donnera un style se trompe : le personnage dans l’histoire, le comédien dans le jeu. Attention à ce que vous cachez derrière vos désirs, car s’il n’y a que l’articulation de comment vous devez être vu important, vous louperez l'évidence : vous ne servez à rien ! Ne l’oubliez pas je vous prie.

Faire de comédien, public.


“Le sens de ce geste”

Le sens de ce geste est de toujours ouvrir l’accueil vers l’autre.

De reconnaître notre souhait de paix et de partage, et de nous éloigner de la peur.
De monter sur scène et d'être d’accord avec la réalité de notre exposition : on ne peut y échapper. Comme un espace pour se réimplanter dans le monde.
Il sera toujours juste de se rappeler à la sincérité innocente de nos sens pour permettre à la vigilance de garder en attention ce qui serait trompeur. Si vous ne comprenez pas ce que je dis, cueillez une rose d’une main innocente et n’allez pas me faire croire que ce n’est pas jouable.


La parole du comédien

Quelle est donc la parole que celui qui est “soumis au jeu” a à porter de par le monde ?

L’acte majeur de l’interprète / du comédien est d’offrir au public de ne plus avoir à exister pour vivre.
Comme l’ultime cri du désespoir (à jouer) ne fera qu’offrir la beauté de la force de vivre à celui qui reçoit ce cri, sans qu’il s’y soit trouvé une identité avec laquelle jouer de lui-même dans le but d’en chercher une reconnaissance qu’il n’obtiendra jamais.

La rencontre avec tout ce qui n’est pas nous, comédien.

Même “comédien” n’est pas ce que nous sommes. Car seul le public peut le décréter.
C’est une étiquette qui ne fait que s’offrir le temps d’une expression, où qui est inscrite dans le souvenir stupide du public, mais en aucun cas dans le champ d’interprétation du comédien (sauf si le texte l’impose - ce sera de toute façon pour s’en moquer, je l’espère).

Rencontrer tout ce que nous ne sommes pas, permet de bien saisir tout ce à quoi nous pouvons jouer, comme par exemple “PEU IMPORTE ce que nous sommes, tant que le public l’est”.

Le jeu, ici, montre un espace de vérité derrière l’illusion.
Qui joue exactement ?


Dans le silence du public

Si vous avez le souhait que ca fasse histoire pour vous, il faut que je fasse jeu là où je me trouve.
Que signifie “où je me trouve” ? Où le jeu me trouve-t-il ?
Ce n’est qu’ici, dans les yeux du public, que je peux savoir que je fais jeu. Que je suis jeu.

            À partir de là, que reste-t-il à faire ? Jouer.
            Quoi ? Peu importe.

Juste être certain que nous n’avons pas besoin de soi pour jouer.
SOI EST LÀ.

Il est très important que je ne gêne personne. Et je ne gêne personne quand je joue. Et il n’y a que moi pour me sentir gêné, pour que ça rebondisse sur vous.

Qu’est-ce que “ça” ?

Est-ce de la gêne aussi pour vous ? Ou est-ce un truc plus agressif, qui surgit en réponse ?
Et vous n’auriez pas tort.
Et vous auriez raison.

Même.

Comment puis-je alors me permettre de rester certain que je ne peux vous échapper ? Vous plier ou vous soutraire ? Ou bien fais-je de l’hypnose ?
Peu importe ! Tant que “histoire” apparaît dans le silence de mon public…
Quelle est votre nature ici public ?
Avez-vous besoin de le savoir ?

Et je jouerai.

Musique. Décor.


“Tant que le public l’est”

Tant que le public l’est, alors laissons faire.
Tant que le public l’est, alors ne touchons à rien.
Car ce n’est qu'à cela, que nous pouvons espérer nous reconnaître.
Tant que le public l’est.


La plus grande recherche du comédien

La plus grande recherche du comédien est celle de sa singularité.
Lui qui pourtant passe son temps à vivre autre chose que “sa vie”.
Et pourtant, même pris au jeu, sa vie se vit. C’est bien pour cela que la plus grande recherche du comédien est de trouver sa singularité.

Comment aucunele comédien peut-il atteindre sa singularité dans cet amas de personnages, d’expressions jaillissantes de ces multiples personnages défiant temps et espace ?
Comment le comédien peut-il se trouver lui-même ?
Pour être quoi ? Comédien ?
Observons alors la lutte et les fracas. Même les bénis par Dionysos suivants leur vie dans l’exemplarité de la réussite peuvent se faire submerger.

Quel jeu est alors possible?

Qu’il ne reste plus qu'à goûter le jeu.
Que “toi” soit, mais pas “parce que toi".

Un texte s’exprime au silence. Les mots sonnent pour être reçus par ce silence.
De la même manière que tous les bruits du monde.


L’artiste est l’idiot

Car s’il veut suivre sa voie, il est obligé d’aller contre vents et marées, puisque son art ne peut exister que s’il transcende le reste.
Que l’art de l’artiste soit ce qu’il le dépasse lui-même. Car s’il se rend docile aux souverains, s’il se plie une seule fois, alors ce n’est plus de l’art qu’il fait mais un objet à vendre, à négocier…
Or la nature de tout art n’est que vent, n’est qu’un mouvement invisible.

Ici l’artiste est bien l’idiot.

Car seul celui qui sait pour qui l’art est fait et d’où l’art se produit, pourra accueillir la nourriture de la vie.Celle-là même qui ne peut pas être l’artiste.
Lui qui ne pourra jamais la donner à celui qui la veut, puisqu’il serait en train de passer à côté.
L’artiste est bien celui qui passe à côté de la vie pour en offrir. À qui ?

Une autre version :
Alors fuck les startupistes de la culture ! Quel est votre vrai but, hein ? Est-il de disparaître ?


Celui qui n’a rien à dire

Comment est-il possible que celui qui n’a rien à dire soit celui qui est sur scène. Je n’ai rien à vous dire. Car je n’ai rien à porter. J’ai déjà porté tous les sujets. Et j’ai toujours vu, toujours su lorsque j’en portais.

Comment pouvez-vous supporter que celui qui n’a rien à dire soit alors celui qui vous parle ? Pourquoi ne pouvez-vous pas le supporter ? Pourquoi ne pouvez-vous pas justement accepter de le laisser parler sans dire ? Ces mots-ci ne sont-ils pas déjà suffisamment distrayants ? N'êtes-vous pas déjà en accord avec le fait instantané que vous n'écoutez que lorsque rien ne parle, que lorsque rien ne tente d’assombrir la clarté avec laquelle vous recevez ce que je vous dis, par exemple ? Que vous dis-je ?… Je vous avais prévenus, je n’ai rien à vous dire car j’ai reconnu votre exactitude. Je connais la puissance de votre discernement. Et c’est sachant cela que j’ai pu reconnaître tous ces costumes, tous ces titres, toutes ces formes, comme autant de tentatives que vous me gobiez de force. Mais vous avez toujours été trop libres pour mes désirs. Et c’est en cela que je vous remercie. Je vous remercie d’avoir laissé un espace si clair même à celui qui n’a rien à dire. Merci. Bisou.



Sur cet article de blog, les textes initialement écrits sur un cahier de l’auteur, sont quasiment à l'état brut, non organisés et non mis en forme. L’objectif est d’en produire une édition prochainement. Tous vos retours en ce sens sont si bienvenus : vous pouvez écrire à Habib ou Anne Lucie (diffusion@association-tedua.fr, 07 82 43 20 68) .
Merci.